Derrière les mots

par François Legay 15 Décembre 2015, 10:24 Expos Livres

Comme pour tous les artistes, la vie de Victor Hugo transpire dans son œuvre. Le poète utilisa plusieurs couleurs pour l’encre de sa plume. La bassesse du genre humain que l’on retrouve dans Les Misérables et dans d’autres écrits, la blessure de l’exil, les déceptions politiques, le chagrin incommensurable de la perte de sa fille Léopoldine puis de ses fils, la santé mentale plus que fragile de son autre fille Adèle, sont gravés en noir. La délivrance par la mort mais aussi l’espoir d’un lendemain meilleur, en vert. La passion qui anima le grand homme toute sa vie, passion des mots, des vers, de la vie, des femmes et surtout de l’amour, s’inscrit en rouge. Mais qu’en est-il du rose de l’érotisme ?

VICTOR HUGO (1802-1885) " Sub clara nuda lucerna " Plume et lavis d'encre brune sur crayon de graphite, papier vélin 19,6 x 31,6 cm Maisons de Victor Hugo, © Maisons de Victor Hugo / Roger-Viollet

VICTOR HUGO (1802-1885) " Sub clara nuda lucerna " Plume et lavis d'encre brune sur crayon de graphite, papier vélin 19,6 x 31,6 cm Maisons de Victor Hugo, © Maisons de Victor Hugo / Roger-Viollet

Car le 19ème siècle ne fut pas vierge d’érotisme. Loin sans faut. Que se soit en peinture (Corot, Courbet), en sculpture (Rodin, Pradier) ou dans certaines chansonnettes ou poèmes coquins, le Dieu Éros version « viens jeter un œil sous ma jupette tandis que je monte innocemment l’escalator » n’a pas laissé passer son tour de valse en attendant une ère plus émancipée ! Bien sûr on en est encore à la maîtresse entretenue dans un meublé et à la grue qui arpente les coulisses du Français (comprenez la Comédie-Française) plutôt que les trottoirs de la Madeleine, mais chaque époque distille son goût pour la gaudriole selon ses moyens, et il faut bien reconnaître que le déferlement pornographique et la campagne publicitaire du yogourt Je-Vous-Le-Présente-Toute-Nue-Pour-Que-Vous-Ne-Ratiez-Pas-L’étiquette n’appartiennent qu’à un temps qui est le nôtre !

JAMES PRADIER (1790-1852) Satyre et bacchante, 1830-1834 Réduction en marbre par E. Lequesne 60 x 60 x 39 cm Galerie Univers du bronze © Courtesy Univers du Bronze

JAMES PRADIER (1790-1852) Satyre et bacchante, 1830-1834 Réduction en marbre par E. Lequesne 60 x 60 x 39 cm Galerie Univers du bronze © Courtesy Univers du Bronze

Et Hugo dans tout ça ? On sait aujourd’hui que ce Pair de France était plutôt du genre « entreprenant », que la nature l’avait doté d’une vitalité qui lui occasionna bien des plaisirs et qu’il s’illustra dans les alcôves, que celles-ci soient de nature architecturale ou silencieuse comme un secret. Hé oui ! Secret d’alcôve. Ce n’est qu’après sa disparition, quand on retrouva certains carnets et certains textes jamais dévoilés au public qu’on réalisa à quel point le Victor avait été un sacré coquin. Et c’est là tout le paradoxe, et l’intérêt de cette exposition, que de montrer que l’œuvre du maître ne trahit jamais les tumultes de sa vie privée. Bien sûr, on peut penser que ses amours avec Juliette Drouet étaient un secret de polichinelle dans le tout Paris de l’époque et que la compétition qui l’opposa à son fils Charles pour s’attirer les faveurs d’Alice Ozy fit les beaux jours des qu’en-dira-t-on. Et il est difficile de ne pas voir le traitement d’évènement de ce genre dans des pièces comme Hernani ou Angelo, tyran de Padoue, mais le fait est là : Hugo, qui ne se priva pas de parler du désir, ne s’autorisa jamais à dénuder l’intimité.

FÉLIX-JACQUES-ANTOINE MOULIN (1802-1875) Études photographiques, Amélie Tirage sur papier salé d'après des négatifs sur verre au collodion 21 x 15,3 cm Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie, © BnF

FÉLIX-JACQUES-ANTOINE MOULIN (1802-1875) Études photographiques, Amélie Tirage sur papier salé d'après des négatifs sur verre au collodion 21 x 15,3 cm Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie, © BnF

Le parcours de l’exposition est simple et efficace. Il permet de voir comment l’homme Hugo et son œuvre évoluèrent différemment, mais aussi comment l’artiste, qui domina pourtant la création du 19ème siècle, est en retrait par rapport à son versant érotique. Car chaque partie est accompagnée d’œuvres de ses contemporains qui eux s’y adonnèrent (dessins, peintures, sculptures, de Alexandre Cabanel, Achille Devéria, Auguste Rodin, Gustave Courbet ou Arnold Böcklin entre autres). La première salle est consacrée au jeune homme qui demeura vierge jusqu’à son mariage, exigeant la même « offrande » de la part de sa fiancée (Adèle Foucher), au jeune poète qui fonda une famille et commença son œuvre dans laquelle le romantisme asexué prime (et ce malgré la troublante Esmeralda dans Notre-Dame-De-Paris). Dans la deuxième salle on nous présente un être émancipé. Le mari a laissé l’épouse à Sainte-Beuve et s’en allé courir la gueuse. Au passage il y a rencontré un des grands amours de sa vie, Juliette Drouet, qui lui inspirera la plus équilibrée des passions puisqu’elle sera à la fois sentimentale et sexuelle. L’auteur lui aussi a repoussé les limites. Il donne la part belle aux actrices en leur offrant de beaux rôles de femmes, traite de la sensualité mais aussi des blessures de l’amour qui se manifestent après des trahisons ou des tromperies (Angelo, tyran de Padoue, Lucrèce Borgia). Dans la troisième salle, Victor Hugo est à son apogée. Célèbre, productif, admiré, l’homme navigue entre des maîtresses d’occasion (des servantes, des connaissances, des prostituées) et Juliette Drouet. L’amour bringuebale d’un excès à l’autre dans ses écrits : c’est soit le romantisme pur et naïf de Marius et Cosette, soit l’acte sale, condamnable, mais ayant des raisons excusables comme pour Fantine (Les Misérables). Une dernière salle s’attarde sur le fait que si Hugo n’a jamais versé dans l’érotisme littéraire, il a parfaitement su manier l’image du sexe en l’utilisant de manière métaphorique (le combat de Gilliatt et de la pieuvre dans Les Travailleurs de la mer par exemple).

Derrière les mots

EROS HUGO

Entre Pudeur et Excès

Du 19 novembre 2015 jusqu’au 21 février 2016

Maison de Victor Hugo

6, place des Vosges

75004 Paris

commentaires