Face obscure

par François Legay 22 Novembre 2015, 11:34 Ciné Livres

Le Film noir est un genre cinématographique qui régna sur les écrans de 1941 (Le Faucon Maltais de John Huston) à 1958 (Traquenard de Nicolas Ray) environ.

Courant principalement américain, l’appellation « Film noir » est pourtant une trouvaille bien de chez nous (Vive la France) puisqu’elle doit son existence au critique de cinéma Nino Frank, lequel cherchait un terme parallèle à celui littéraire de la collection « Série noire » qui commença à cartonner sur l’hexagone à partir de 1945.

Face obscure

Il faut dire que le rapport entre cinéma et littérature coule de source puisque les références et influences majeures du Film noir ont un rapport direct avec deux auteurs de polar : Dashiell Hammett (Le Faucon Maltais) et Raymond Chandler (Le Grand sommeil) dont les romans sont adaptés, mais que Hollywood engage aussi pour travailler sur des scénarios, comme ça sera également le cas pour Ernest Hemingway (Les Tueurs de Robert Siodmak) ou Truman Capote (Plus fort que le diable de John Huston).

D’abord cantonné à la deuxième partie de soirée (en ce temps-là, une séance de cinéma comprenait deux cartoons, un court-métrage, le grand film et un second film appelé Série B), le Film noir devient un vrai genre à part entière, prisé, réclamé par le public, et se met à rivaliser avec le Western et la Comédie Musicale qui sont pourtant les deux genres phares de cette période.

Bien sûr, il y a eu des prémices. Dans les années 30, certains films de gangster ont eu énormément de succès (Little Caesar de Mervyn LeRoy) ou sont devenus des Classiques (Scarface de Howard Hawks). Le public a toujours aimé les histoires de flics et de truands. Mais le succès du genre est aussi dû à des répercussions historiques et sociales. 1941-1958 c’est quasiment 20 ans ininterrompu d’évènements atrocement marquants dans lesquels l’humanité et la civilisation chavirent : la seconde guerre mondiale (la première où on cible des civils), le Japon, qui au mépris des convenances, attaque Pearl Harbor sans avoir préalablement fait une déclaration de guerre aux États-Unis, l’explosion des deux bombes atomiques, la découverte des camps de la mort, des camps de l’horreur, la guerre froide, la peur de l’Est et de l’Union Soviétique, la traque du communisme sur la terre américaine, c’est la chasse aux sorcières du Maccarthisme (qui apparaîtra en filigrane dans plusieurs films), on se suspecte d’appartenance au parti rouge, on se dénonce, on craint les espions, les tourbillons juridiques, on est fiché, épié, surveillé, bref l’ambiance à la moitié du 20ème siècle est sombre. NOIRE. Alors il est normal que dans ces conditions, le cinéma, c'est-à-dire le premier des divertissements, le devienne aussi. Et le public se rue en masse pour assister à un spectacle dont l’écran n’est rien d’autre qu’un miroir sur lequel est diffusé le reflet de l’état d’esprit du moment.

Face obscure

Christophe Champclaux et Linda Tahir Meriau sortent dans la collection Ciné Vintage (du nom du magasine qu’ils proposent tous les premiers mardis du mois à 20h45 sur la chaîne MCE et sur Ciné Cinéma) une série de beaux livres consacrés à l’histoire du cinéma. Avant de nous proposer dans quelques mois : la Comédie musicale, le Fantastique, le Péplum et les Arts martiaux, ils commencent par le Western et le Film noir. Ouvrage auquel nous nous intéressons présentement. Je dois dire que je l’ai trouvé assez complet et capable d’avoir du succès même chez les non initiés. Bien sûr, comme c’est un livre spécialisé, faut déjà avoir l’idée d’aller le chercher. Mais si vous aimez Humphrey Bogart ou Barbara Stanwyck, vous pouvez avoir envie d’y jeter un œil et vous prendre au jeu de l’ensemble. Car ce qui est sûr c’est que ça donne envie de découvrir ou de redécouvrir les films présentés. Que ça soit par l’intermédiaire des sublimes photos (vraiment magnifiques) dont l’objet est parsemé, par les anecdotes qui les accompagnent, ou par les récits sur les réalisateurs (John Huston a le droit à un chapitre entier), les acteurs, ou les écrivains ayant largement contribués au succès de ce courant mais dont l’existence a été à jamais changé par ce que la réalité avait de beaucoup plus trouble et qui marqua au combien leur travail : la guerre et surtout le MacCarthisme.

Autre point positif : les auteurs n’ont rien oublié. Ni dans les influences (l’expressionnisme allemand), ni dans les différentes manières de s’approprier le genre, car contrairement à ce que l’on croit il n’y a pas que l’enquête policière avec détective privé, imperméable beige, mains dans les poches, cigarettes et whisky, mais aussi de l’espionnage (Pickup on South Street de Samuel Fuller) de l’intrigue sentimentale (Laura d’Otto Preminger), voire de la chronique sportive (Nous avons gagné ce soir de Robert Wise), ni dans les variances de décors entre les déambulations dans les rues sombres de New York ou de Los Angeles, et les rendez-vous aventureux à l’étranger (Europe, Mexique).

Mesdames, vous n’êtes pas en reste puisque le pourquoi du comment vous êtes devenue fatales avec ce mouvement cinématographique nous est parfaitement expliqué.

Et enfin, le déclin et l’héritage sont également évoqués avec notamment une très belle interview de Richard Fleischer qui fit parti des réalisateurs dit de transition de cette période vers la suite (L’assassin sans visage 1949, Soleil vert 1973).

Le cinéma français, qui connut « son » courant « noir » influencé directement par les ricains mais dialogué en argot parigot, est bien présent. On y retrouve les acteurs Jean Gabin et Lino Ventura, les réalisateurs Gilles Grangier et Jacques Becker, les films Touchez pas au grisbi et Razzia sur la chnouf, en attendant Le Samouraï de Jean-Pierre Melville qui marquera une autre génération comme lui-même l’avait été par Le Carrefour de la mort d’Henry Hathaway ou Quand la ville dort de John Huston.

En résumé : un beau cadeau pour les fêtes.

Face obscure

LE FILM NOIR

De Christophe Champclaux et Linda Tahir Meriau

Éditions Le courrier du livre

Collection Ciné Vintage

Prix : 24,90 Euros

Livre accompagné d’un DVD contenant le film Le Criminel d’Orson Welles et trois documentaires : John Huston, Humphrey Bogart, le détective d’Hollywood, et Orson Welles et le film noir.

commentaires